
J’ai toujours aimé les langues. Mortes ou vivantes, parlées ou non, peu importe. Depuis le collège, je me suis efforcée d’en apprendre le plus possible, au gré des opportunités : anglais, allemand, latin, grec ancien, espagnol, suédois, langue des signes allemande, langue des signes française… J’étais et je reste insatiable.
Pas de chance pour moi, je suis devenue sourde à l’adolescence, ce qui a, on peut le comprendre, un peu freiné mes ambitions linguistiques. Encore aujourd’hui, comprendre quelques mots prononcés dans une langue étrangère est une petite victoire capable de me rendre extatique pour la journée.
C’est en classe préparatoire que j’ai réalisé que j’avais malgré tout un lien avec les mots. Quand je m’essayais à la traduction, trouver les concordances idiomatiques m’apparaissait comme une chasse au trésor.
J’ai donc par la suite intégré une école pour devenir traductrice. Un paradoxe, alors que je commençais à ne plus comprendre grand-chose et que la moitié des cours était désormais dispensée en anglais ou en allemand. Dans un article précédent, je relatais cette expérience et comment j’avais alors compris que j’étais sourde, et pas juste malentendante.
Faire de mon handicap une vraie opportunité
Pour m’en sortir dans mon master de communication interculturelle, j’ai décidé de ruser.
Je n’entendais pas les cours, je n’arrivais pas à prendre des notes ? Eh bien tant pis, j’allais orienter mes travaux pratiques personnels sur la surdité, et sensibiliser tout le monde au passage.
Faire un exposé en anglais sur les enjeux de la communication avec des personnes issues d’une culture différente ? Pas de souci, voici une présentation sur la communauté Sourde américaine. Rédiger un article web sur le burnout ? Ça ne m’inspire pas trop, et si je vous parlais plutôt du syndrome d’épuisement professionnel chez un sourd qui ne comprend rien en réunion ? Mon mémoire de traduction appliquée et de terminologie ? Consacré à Paddy Ladd (un chercheur Sourd américain) et son célèbre Understanding Deaf Culture: In Search of Deafhood.
J’ai tout misé sur le handicap comme sujet interculturel. Ce qui était aussi thérapeutique pour moi, qui assumais désormais pleinement ma surdité et en parlais ouvertement.
Et ça a parfaitement marché (sauf en cours de sous-titrage VOSTFR, allez savoir pourquoi). Non seulement je me suis éclatée dans mes projets scolaires, mais en plus, j’ai obtenu mon diplôme avec les félicitations du jury. J’avais piqué la curiosité de mes professeurs et ils m’avaient notée en conséquence.
Ce choix a façonné toute ma carrière professionnelle car je me suis rendu compte de plusieurs choses. Premièrement, j’adorais sensibiliser. J’étais objectivement douée pour ça. Et surtout, en témoigne la difficulté de suivre mes études à l’époque, il y avait un vrai besoin derrière.
Avec le temps on apprend
Si j’ai bien retenu une chose de ces années d’études, c’est que traiter le sujet du handicap exige la même écoute et les mêmes remises en question que la communication interculturelle. Avec un handicap, chacun appréhende le monde de façon différente, d’autant plus quand le handicap se conjugue à d’autres facteurs : race, genre, classe, accessibilité de la vie quotidienne, accès à l’éducation, origines, etc. Pour autant, il n’y a pas de hiérarchie dans nos expériences et surtout… pas de normes ! Dans le monde des handicapés, tout le monde est valide.
Et si le handicap ne nous définit pas, il contribue cependant à écrire une histoire personnelle pour chacun de nous. Une histoire, un parcours qu’avec un peu d’écoute et d’empathie, on peut aussi traduire et valoriser.
C’est l’une des nombreuses raisons qui font que je suis heureuse de travailler pour une entreprise adaptée qui œuvre pour l’inclusion et la représentation des personnes handicapées.
Même si ça signifie que mon anniversaire tombe pendant la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées. Tous les ans. Pas de chance pour moi !
Manon, chargée de Mécénat et Partenariats chez SCP
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