Quand on m’a proposé de parler de mon expérience pour la Journée de l’Audition, j’avoue que je n’ai pas compris tout de suite. Et pour cause, je suis sourde ! Autant vous dire que je ne suis pas la mieux placée pour vous sensibiliser à l’importance de bien protéger vos oreilles. Heureusement, l’association Journée nationale de l’audition a lancé le 11 mars une grande campagne d’information et de prévention.
A l’occasion de cette journée, on voit chaque année passer beaucoup de témoignages de personnes dont la perte d’audition est survenue brusquement et qui l’ont vécue comme un traumatisme. La surdité est un problème de santé publique, c’est indéniable. Mais il existe autant d’expériences de la surdité que de sourds et malentendants. Et heureusement, toutes ne sont pas négatives !
Le jour où j’ai choisi de devenir sourde
Avec une surdité sévère à profonde, j’ai longtemps préféré dire que j’étais malentendante. J’ai commencé à perdre l’audition à 9 ans, mais ce n’est qu’à 18 ans, quand je suis devenue étudiante, que les problèmes sont arrivés ; les salles de classe s’étaient agrandies, le nombre d’élèves décuplé et les cours étaient devenus interminables. Dans mes oreilles, un foisonnement de sons confus que même mes appareils auditifs ne pouvaient m’aider à démêler. J’étais submergée, mais surtout, je me sentais trahie.
C’est là qu’une question que je n’avais encore jamais considérée s’est imposée à moi : étais-je sourde ou malentendante ?
Google ne m’a pas donné la réponse. En revanche, il m’a fait découvrir le monde des Sourds*. J’avais bien entendu déjà entendu parler de cette communauté dont la langue est la LSF. Mais curieusement, l’adolescente que j’étais ne voyait aucun point commun entre leur expérience et la mienne. Quand on parlait de mon handicap, on parlait de perte d’audition, pas de surdité ; je n’avais donc aucune raison de m’identifier aux sourds.
Soyez fiers !
Et c’est bien dommage ! Car chez les Sourds, la surdité n’est pas considérée comme un handicap, c’est une composante de l’identité et même une source de fierté. On aurait beaucoup à apprendre de cette façon d’être, qui prend l’humain comme il est. Notre société a tendance à faire de la perte d’audition quelque chose de honteux, une affaire de vieux ; nos appareils doivent être invisibles et nous permettre de nous fondre dans la masse. Au détriment parfois de notre bien-être, car appareils comme implants ne compensent pas totalement une audition défaillante.
Aujourd’hui, ma vie est un jeu d’équilibriste entre deux mondes. J’ai grandi entendante, ma famille et mes proches sont majoritairement entendants. Dans ma vie quotidienne, c’est la parole qui prime, avec tous les malentendus que cela engendre. Mais la communauté sourde me réconforte. Elle fait de ma différence une norme, un trait partagé, elle légitimise mes difficultés et si j’ai la volonté de m’engager aujourd’hui pour une société plus inclusive, c’est grâce à elle.
Et j’ai bien l’impression d’avoir choisi le meilleur de ces deux mondes.
* le s majuscule permet de distinguer la communauté culturelle des Sourds, dont la langue maternelle est la langue des signes. « sourds » sans la majuscule, désigne la communauté au sens large, qui comprend pêle-mêle des Sourds, des devenus-sourds, des malentendants ou des sourds oralistes qui ne pratiquent pas forcément la langue des signes mais qui partagent les mêmes enjeux d’accessibilité.
Manon Chargée de Mécénat et Partenariat chez Séquences Clés Productions
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