Vous êtes directeur de la photographie : Qu’est-ce que la photographie dans un film ?
C’est tout ce qui a trait à la lumière et au cadre, tout ce qui fait que ça procure une émotion à l’image.
Quelle est votre responsabilité sur un tournage ?
Ma responsabilité sur un tournage est de faire en sorte que les intentions artistiques du réalisateur coïncident avec le matériel, le décor, le budget, avec toutes les choses concrètes autour de nous, on va faire en sorte que le rêve du réalisateur puisse voir le jour. Techniquement et artistiquement on a une image à créer pour le film. Tout doit être bien discuté avec le réalisateur en amont.
Comment composez-vous avec le réalisateur : travaillez-vous ensemble sur la lumière en amont ? Echanges d’expériences, d’inspiration ?
Tout dépend des réalisateurs, certains sont plus techniques que d’autres, ont un jargon, une connaissance technique des tournages et savent ce qu’ils veulent en image, en lumière... Ils nous guideront car ils savent déjà ce qu’ils veulent. D’autres nous donneront carte blanche pour travailler sur le cahier des charges, composer des choses et après choisir ce qu’ils aimeraient.
Crédit photo : Apolline Friederich
Je peux travailler des moodboard en amont, avec des références de photos, tableaux, lieux, et les envoyer au réalisateur, pour être sûre qu’on soit sur la même longueur d’ondes ou inversement, pour une bonne compréhension. Si un réalisateur ne sait pas ce qu’il veut en arrivant sur le tournage et qu’on doit tout voir sur place on perd énormément de temps. Quand un réalisateur sait ce qu’il veut cela facilite le tournage, mais laisser place à l’impro peut également nous offrir de belles surprises sur les rendus finaux.
Y’a-t-il des grands principes, en lumière : ce qu’on n’éclaire, ce qu’on n’éclaire pas.
C’est toujours bien d’avoir quelques règles en tête, comme l’éclairage en 3 point, les rapports de contraste et de colorimétrie, les directions de lumière. Mais toutes les règles sont évidemment faites pour être transgressées. Techniquement, on doit faire en sorte qu’il y ait une unité sur le film, que les images soient belles, mais aussi correctement exposées, pour que l’étalonnage se passe bien. On adapte sa liste matériel en fonction du projet, du budget, du planning, et du nombre de personnes dans l’équipe, car forcément on n’éclaire pas de la même manière un documentaire tout seul et une grosse pub de voiture. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on n’a pas forcément besoin d’énormément de matériel pour faire une belle lumière, le tout c’est de savoir regarder et embellir.
On parle beaucoup de « belle lumière » : qu’est-ce que c’est ?
La belle lumière selon moi c’est une lumière subtile, assez naturaliste tout en étant stylisé, où on ne sent pas les projecteurs, même si on sait qu’il y a des projecteurs. C’est une question de douceur, contraste et de différence colorimétrique. C’est donner son importance aux visages, aux émotions, et aux décors.
Est que la question de l’esthétique se pose de la même façon entre un film de fiction et un film corporate ?
Oui, en termes d’esthétique, douceur contraste et couleurs c’est hyper important que ce soit en fiction, comme en corporate. En corporate ou en pub, on a souvent un cahier des charges à remplir, et l’image sert à mettre en valeur un produit ou une entreprise. Il faut aller assez vite, cela implique qu’il faut être assez bon en débrouillardise, et voir tout de suite ce qui va être possible. En fiction, l’image sert à la narration d’une histoire, on a souvent un peu plus de marge de manœuvre pour tenter des choses créatives, ou briser des règles. On a également du temps pour préparer en amont et faire des repérages.
Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles vous avez été confronté au cours de votre carrière ?
Sur une séquence d’un court métrage d’action que j’ai tourné l’année dernière, le plan lumière que j’avais prévu ne marchait pas du tout. Je voulais éclairer par toutes petites touches le visage tuméfié d’un comédien enfermé dans une grange en pleine nuit. La lumière était belle mais ne correspondait pas à l’ambiance du film, elle était trop douce et trop étale. J’ai donc expliqué mon problème à la cheffe électro, qui a résolu le problème en utilisant un autre type de projecteurs. Cette expérience m’a appris qu’il ne faut pas se bloquer sur son idée de départ, mais rester ouvert aux suggestions de son équipe.
La plus grande certitude déconstruite au fil des années ?
Pour moi, c’est l’arrivé d’Instagram avec les formats carrés, verticaux, on a cru que ça tuerait un peu la créativité. Je travaille avec des marques de modes qui ont compris que c’était quand même important d’investir dans ce média et accorde d’assez gros budgets pour fournir un contenu de qualité, ça reste de l’image et ce n’est pas négligeable. Durant cette période covid, les marques ont eu encore plus besoin de communiquer par ce biais.
La lumière se construit aussi après le tournage … Est-ce que le directeur photo intervient dans la post production ?
On vient à l’étalonnage, et c’est une grosse partie du travail, qu’on a souvent tendance à minimiser. C’est la première fois qu’on voit le résultat du film en condition de projection, avec ces petites imperfections. Il faut savoir qu’en général, on tourne en LOG, ce qui veut dire que l’image est toute grise. Cela permet d’avoir le maximum de détail. C’est comme un croquis en noir et blanc de dessinateur, qu’on vient coloriser ensuite. Avec l’étalonneur, on choisit un look d’image, on embellit les prises de vues, on retravaille les détails, on gomme les défauts.
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